« Vous devriez vous dépêcher Monsieur, les invités ont déjà commencé à investir le Grand Hôtel Royal, et je doute qu'ils soient aussi patients qu'ils ne l'étaient avant. »

Je grognais en guise de réponse pour Alfred, trop occupé à travailler sur la tenue qui me portait à cœur. Un alliage renforcé, mais forcément plus lourd, plus résistant, mais moins flexible. C'était le revers de la médaille pour porter une telle tenue, mais nécessaire quand on voulait combattre l'être le plus puissant de la planète. Je poussais un petit soupire, passant ma main dans mes cheveux, puis grattant la barbe qui commençait à pousser. Je prenais du temps pour élaborer ce nouveau costume, et cela se ressentait sur mon hygiène. Alfred avait raison, je devais vraiment sortir voir la lumière du jour plutôt que de rester là. Il ne me le disait pas, mais je voyais très bien que mon envie de m'en prendre à Superman le dérangeait. Il finirait bien par me le dire de toute manière, ce n'était qu'une question de temps. Je me levais de ma chaise, replaçant la bâche par-dessus les objets éparpillés. Alfred avait posé un peu plus loin la tenue que j'allais arborer lors de la soirée que j'avais organisé pour l'environnement et la défense des fonds marins, une tenue bien loin de celle qui se trouvait cachée quelque part derrière un mur.

Je me dirigeais vers les vestiaires de la cave pour prendre une douche bienvenue, puis je me rasais un peu, histoire de paraître tout de même assez présentable pour les invités. La tenue enfilée, je sortais de la cave où m'attendais un peu plus loin Alfred avec la voiture. Je m'y rendais, m'asseyant à l'arrière, une chemise était posée sur la banquette arrière avec à l'intérieur quelques papiers en rapport avec la soirée à laquelle je me rendais. Je prenais celui qui me semblait le plus important, en rapport avec l'intervenant principal, un certain Arthur Curry.

« Il n'y a que ça sur lui ? »

« Oui Monsieur, j'ai effectué un bon nombre de recherches, en vain. »

« Merci, Alfred. »

Je refermais le dossier pour les derniers mètres nous menant au lieu de la réception. J'avais dit à Alfred que je voulais éviter les médias, et il prit un autre chemin qui mènerait à une entrée dérobée à l'arrière du grand bâtiment. J'avais de toute manière un peu mal aux yeux pour me prêter à l'exercice des photos pour les journaux. J'espérais d'ailleurs que la journaliste principale de la ville, Vicki Vale, ne serait pas présente dans l'assistance. Je l'entendais déjà me poser tout un tas de questions sur le pourquoi de ma longue absence. Je fis donc mon entrée par l'arrière, empruntant tout un tas de petits couloirs. J'arrivais pile au moment où le dénommé Arthur Curry prenait place sur l'estrade pour démarrer son discours. Après avoir salué quelques personnes, je m'asseyais à la place qui m'était attribuée, puis écoutais le discours de l'invité principale de l'événement. Ce qu'il disait était pertinent et intéressant, bien que mes pensées étaient majoritairement tournées vers la confection du costume qui mettrait un terme à l'Homme d'Acier.

En parlant de Superman, Monsieur Curry clôturait son discours en parlant du justicier de Métropolis, qui avait détruit une machine à gravité dans l'océan Pacifique et donc causé d'énormes dégâts. Je me levais et applaudissais une fois le discours de l'intervenant terminé, en profitant au passage pour annoncer à mes ''amis'' riches que l'urne pour la collecte de fond se trouvait un peu plus loin dans la salle. Ils ne faisaient ça que pour bénéficier d'une remise sur les impôts pour leur entreprise, et non pas pour soutenir une cause qui importait bien plus que les bénéfices de leur entreprise à la fin de l'exercice comptable. Je filais un peu plus loin à l'écart de ces mondains sans âme, quand Arthur Curry vint à ma rencontre. Je lui serrais la main, remarquant une forte poigne, ce qui n'était pas étonnant quand on voyait son physique.

« Ravi de vous revoir aussi Monsieur Curry. Et ne me remerciez pas, la cause que vous défendez est juste, et il est important de montrer à quel point notre environnement va mal. »

J'eus un mince sourire à sa remarque sur ma poigne. Il est vrai que la plupart des milliardaires de la ville n'avaient aucune force dans le bras. Ils étaient tous fins et sans physiques, laissant leur défense à des gardes du corps qui étaient souvent de la mafia, une manière comme une autre pour les parrains des familles de s'assurer une place dans le patrimoine de Gotham.

« Disons qu'à force de côtoyer les requins de la finance et leur gros bras, on finit par se renforcer physiquement à défaut de le faire financièrement. » Je lâchais sa main, l'invitant à poursuivre la discussion près du buffet. « C'est un très beau discours que vous nous avez sorti là Monsieur Curry. Et j'ai cru comprendre que vous dénonciez plus ou moins Superman de la destruction des fonds marins au niveau du Pacifique. Mais avant de parler de lui, parlez-moi un peu de vous. Qu'est-ce qui vous a donné envie de défendre cette cause ? »

La protection de l'environnement était quelque chose qui me tenait à cœur, mon père m'ayant souvent parlé de l'héritage environnemental qu'il me laisserait, et que je devrais laisser à mon tour à mes futurs héritiers. Mais certains ne pensaient pas comme lui et profitaient de ce système pour s'enrichir sur le dos d'un écosystème plus que précaire. Et ce n'est pas avec l'arrivée de Superman que ça allait arranger les choses. Le prix de la reconstruction de Métropolis avait prit des proportions assez énormes, pour ne pas dire extravagantes. Heureusement, certains hommes fortunés de la ville, dont Lex Luthor notamment, avaient participé pour l'élaboration de nouveaux bâtiments. J'avais moi-même laissé un gros chèque, étant présent sur les lieux au moment du combat entre Superman et le Général Zod. Le bâtiment de Wayne Financial avait été lourdement touché, et une destruction était obligatoire afin qu'il ne tombe pas sur les autres bâtiments aux alentours déjà bien amoché.

Il était donc important de montrer que malgré les catastrophes et les tragiques événements, nous pouvions nous soutenir les uns les autres. Pourtant, des personnes avaient trouvé un moyen de retourner cette journée du Black Zero pour eux, faisant des bénéfices abjectes sur le dos des personnes qui avaient perdu des proches en vendant des objets pouvant repousser les extra-terrestres ou d'autres bêtises dans le genre. Un commerce florissant mais assez horrible. Mais là n'était pas la question, et j'écoutais désormais la réponse d'Arthur Curry quand à ma question de savoir pourquoi il avait décidé de défendre la cause maritime. Ses raisons étaient nobles et justes, et je comprenais parfaitement ce désir de vouloir défendre ce qu'il appréciait, encore plus avec l'histoire qu'il venait de me raconter. La vision d'horreur de la baleine et de ses enfants me rappelaient un souvenir encore trop présent.

« Je comprends tout à fait. Après tout, les causes que nous défendons ont toujours un rapport avec nos parents car, quelque part, ce sont eux qui nous insufflent ce sentiment de vouloir faire pour les autres. L'éducation a un rôle important, et il est important d'éduquer le plus tôt les enfants dans les causes justes. Je suis que votre père devait être un homme bon. »

Arrivés à proximité du buffet, je me saisissais d'une petite assiette avec quelques mets, l'intervenant spécialiste des fonds marins me posa à son tour une question, cette fois sur les raisons qui avaient fait que je me décide à organiser une collecte de fonds pour la cause qu'il défendait, et surtout, pourquoi je l'avais choisi lui. Il y avait la version officielle, et l'officieuse. L'officielle était que malgré le fait qu'il soit méconnu du grand public, il restait un spécialiste sérieux et impliqué dans ce qu'il faisait. L'officieuse était que certains bruits faisaient état d'un homme-poisson qui intervenait souvent vers l'endroit où se trouvait justement le phare qu'il m'avait parlé, et je voulais donc bien évidemment me renseigner un peu plus là-dessus, mais ça serait pour un peu plus tard.

« Et bien, comme vous dites, il y a de nombreux spécialistes bien plus connus que vous. Mais ce n'est pas la célébrité de la personne qui m'intéresse, mais bien l'implication de la personne. Je préfère inviter une personne qui s'implique pleinement dans ce qu'il fait, plutôt qu'un bureaucrate qui ne fait que prétendre être sur ce qu'il y a marqué sur la plaquette posée sur son bureau. La différence est là : vous cherchez vraiment à ce que les choses s'améliorent, alors que l'autre fera en sorte de faire passer ses propres intérêts avant ceux de sa cause. L'argent prendra plus le pas chez lui que chez vous. » Je lui souris, avant de rajouter une dernière parole sur un ton plus léger. « A moins que vous m'ayez caché votre véritable but. »

Comme je comprenais le respect que pouvait avoir Arthur Curry envers son père. J'avais eu le même pendant mon enfance, appréciant tous les moments que j'avais passé avec lui. Il avait été une énorme source d'inspiration, et de suivre sa voie était pour moi une logique implacable. Ma mère aussi avait beaucoup fait pour moi pendant mon enfance, mais Thomas Wayne avait fait en sorte d'être ce modèle que je m'évertuais à vouloir être pour les autres. J'étais cependant bien loin de montrer l'image de l'homme bon  et sage qu'il montrait à son époque. Mais en tant que Batman, je ne pouvais me permettre d'adopter le même comportement. Il fallait être une toute autre personne, jouer un rôle en permanence. D'ailleurs, je ne faisais que ça, jouer un rôle. Avec les autres financiers de la ville, avec les médias...Alfred m'avait énormément aidé à construire ce personnage de playboy légèrement arrogant et coureur de jupon. Son passé d'acteur servait également pendant certaines missions quand je revêtais la combinaison du Chevalier Noir, mais aujourd'hui, je ne cachais plus du tout mon visage fatigué par le temps.

C'est donc avec un léger sourire que j'accueillais les paroles de l'intervenant sur son père. Il ne devait pas ignorer que j'avais perdu mes parents aussi tôt pendant mon enfance, mais je faisais avec. Je devais montrer que ça ne m'atteignait pas plus que ça, bien que c'était toujours déchirant de se rappeler de ce terrible moment, dans Crime Alley, après une projection du « Masque de Zorro » dans un cinéma de la ville. Ses paroles me faisaient surtout réfléchir à la vie que j'aurais pu avoir si jamais Joe Chill n'avait pas croisé notre chemin des décennies plus tôt. C'était bien difficile d'imaginer une telle vie, tant l'actuelle ne me permettait pas d'y penser.

« Nos pères nous ont marqué d'après ce que je peux entendre. Et puis quelque part, ce sont les héros de notre enfance. »

Oui, je l'avais considéré, et encore aujourd'hui, comme un héros pour une partie de ma vie. Comment en serait-il autrement de toute manière ? Alors que nous nous étions rapprochés du buffet afin de déguster quelques mets posés sur les tables, je remarquais le regard de mon invité sur les différents plateaux présentés. Il y avait forcément des aliments tout droit venus de la mer et des océans. Ce n'était pas moi qui m'occupait de la nourriture, une entreprise engagée par la mairie de Gotham pour servir et proposer les repas à chaque manifestations. Un comble de servir des aliments provenant des fonds marins alors que la rencontre proposée traitait justement des méfaits de l'être humain sur cet environnement. Après avoir regardé un peu aux alentours voir qui se trouvait encore dans la pièce, j'écoutais les nouvelles paroles de mon invité. Son discours était logique et alarmant pour les êtres humains, mais ils étaient trop, pour la plupart, centrés sur eux même pour pouvoir se rendre compte que leur planète allait mal. Mais quelque chose dans ses paroles laissait clairement penser à une menace venant des profondeurs des océans. Un rapport avec l'homme poisson dont les témoignages faisaient part ? Je l'interrogerai dessus plus tard.

« Il est bien rare de voir des personnes comme vous aussi investies dans une telle tâche. Rares, mais précieuses dans une telle lutte. Quand au fait que l'océan puisse se retourner un jour contre nous, l'histoire nous a déjà montré à maintes reprises que la nature reprenait toujours ses droits sur ce que l'homme a bâti, ou sur l'ensemble de ce qu'il y a en général. Après tout, nous ne sommes qu'un cycle de la Terre. Les dinosaures, les premiers hommes...tout a fini par disparaître pour se reconstruire ensuite sur de nouvelles bases. » Je mettais mes mains dans les poches de mon pantalon, prenant connaissance de la nouvelle question d'Arthur Curry. « Très tôt, mes parents m'ont initié au fait que la nature était un cadeau pour nous, un cadeau à utiliser avec parcimonie cependant. Mon père était très préoccupé par la nature et l'environnement, et avait initié quelques projets pour la ville avant sa mort. Son héritage étant le mien, il est donc tout naturel pour moi de poursuivre ceci, encore plus quand désormais des hommes venus d'ailleurs viennent polluer et détruire notre écosystème dans des combats qu'on ne pourrait que dans les films. »

Il est vrai que les temps avaient changé en l’espace de quelques mois, quelques années. Si auparavant les seuls héros des enfants étaient les policiers, les pompiers, ou encore les personnages que l’on allait voir au cinéma. Pour moi, en plus de mon père, ça avait été Zorro. Je voulais être comme lui pendant mon enfance, en dévalant les prairies avec mon cheval nommé Tornado, à combattre la corruption et le crime partout où j’allais. Il m’avait vraiment fasciné, en dupant tout son entourage avec son fidèle allié Bernardo. La Cave sous l’habitation principale avec quelques gadgets, ça donnait des envies de grandeur à un enfant. C’était justement à cause de lui que j’avais vu mes parents mourir sous mes yeux, à Crime Alley. Combien de fois je leur avais demandé d’aller voir « Le Masque de Zorro » au cinéma avant qu’il ne soit plus diffusé à Gotham City ? Le soir où nous avions été le voir était en plus le dernier de sa diffusion. Ils n’avaient pas pu me dire non devant ma persévérance.

Quelque part, Zorro avait inspiré mon travail en tant que Batman. La BatCave, le costume et tout ce qui touchait à cet univers faisaient quelque part que le justicier du cinéma m’avait permis de devenir le justicier que j’étais avant ma retraite, et que je deviendrais à nouveau très certainement dans les prochaines semaines. Néanmoins, ce retour était un puzzle qui se mettait doucement mais sûrement en place, les pièces s’emboîtant les unes après les autres au fur et à mesure. Il ne faisait aucun doute désormais que Superman était l’élément déclencheur de mon retour, mais qu’avant de lui tomber dessus, je devais me refaire la main sur d’autres criminels. Il y avait assez à faire à Gotham City pour avoir envie d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. D’autant qu’avec le Joker qui avait fuit sa cellule une nouvelle fois, je ne pouvais pas le laisser tranquillement dans les rues de ma ville. S’il n’avait rien commit, du moins de médiatique, je doutais qu’il reste calme aussi longtemps.

Je reprenais mes esprits en revenant à la soirée dans laquelle je me trouvais. La discussion avec l’intervenant du nom d’Arthur Curry se déroulait assez bien, et une bonne ambiance semblait découler des paroles que nous prononcions tous les deux. Il était rare de trouver des intervenant intéressants et qui possédaient un réel intérêt de la cause qu’ils défendaient. Autant dire que je n’en avais pas vu beaucoup après toutes ces années à arpenter les cocktails et autres soirées supposément organisées pour une noble cause. La conversation était toujours orientée sur l’Homme d’Acier et les conséquences de son arrivée, ou plutôt de son apparition. J’étais d’accord avec lui sur le fait qu’il nous ait sauvé d’une mort certaine. Cependant…

« Je suis conscient que sans lui, nous serions sans doute tous enterrés sous terre. Cependant, s’il ne s’était pas révélé au monde entier, nous aurions pu poursuivre notre existence normalement. Maintenant, nous devons constamment nous demander deux choses : premièrement, si Superman ne va pas au final se retourner contre l’Humanité. Et deuxièmement, si d’autres menaces venant d’ailleurs ne vont pas tomber sur nous avec l’arrivée de Superman. »

J’exposais très clairement ma pensée vis à vis du sauveur de Métropolis. D’autant que dans le monde, deux camps s’opposaient par rapport à lui : ceux qui voyaient en lui une divinité venue du ciel pour sauver les hommes, et les autres un envahisseur qui attendait le bon moment pour frapper. Lorsque Monsieur Curry parlait de Superman comme le premier d’une lignée de justiciers, j’arborais un sourire en coin. Il ne devait pas se douter que pendant vingt années avait oeuvré un homme déguisé en chauve-souris, sortant toutes les nuits afin de faire de sa ville un endroit plus sûr pour les habitants et les potentiels touristes.

« Il se peut en effet que d’autres veuillent faire comme lui. Après tout, un éclair rouge a été déclaré comme sauvant des vies à Central City, ou encore un Robin des Bois des temps modernes à Starling City. Cela ne m’étonnerait pas que l’on retrouve un jour une femme guerrière ou encore un homme poisson en plus de ceux qui ce sont déjà dévoilés. » Je ne prétendais pas avoir toutes les réponses aux questions que me posait l’intervenant, mais mon avis était déjà plus ou moins tranché sur ce sujet. « Quand aux répercussions sur l’environnement, je doute que ça soit positif. Plus de personnes comme eux voudrait dire plus de criminels comme Zod, et donc des combats dégradant forcément des villes. Quand à notre civilisation… » Je marquais une pause, réfléchissant à quoi pouvoir bien dire. « Les hommes ne seront plus des hommes, n’est-ce pas ? »