Elle est là. Je peux l'atteindre, mais elle a son téléphone non plus. Elle a entendu un bruit et se rapproche des couteaux, dans sa cuisine. Je n'avais pas pensé à la présence possible d'un carillon juste derrière sa porte, sorte de système d'alarme diaboliquement ingénieux puisqu'il était indétectable avant d'avoir passé l'huis. Comme les talebs en Afgha, qui avaient trouvé la parade à nos lunettes thermiques en se drapant de linges mouillés, en pleine nuit, qui réduisait presque à néant leur signature thermique. L'ancien nique le niveau, ne cherchait pas. L'évolution n'a pas apporté que du bien. Du coup, je suis entré, me crispant quand le carillon a sonné. J'ai juste eu le temps de plonger dans les ténèbres d'une pièce mal éclairée. La fille étant sous la douche, elle avait tout éteint dans le salon. Couché près du canapé, je vois sa silhouette se rapprocher de la cuisine pour y attraper un couteau. Bordel de merde. Vive la discrétion. Je tire mon flingue, silencieux vissé dessus. Il est faussé pour avoir tiré plusieurs fois avec, mais je n'ai pas le loisir de m'en acheter un autre sans sécuriser mon approvisionnement, ce genre de pièce étant assez contrôlé, vachement plus que les flingues dans ce pays bourré de paradoxes. La fille s'avance, demandant s'il y a « quelqu'un ». Je n'ai pas le temps de lui souffler ma prière que je presse la détente. Une fois, en pleine poitrine. Je me redresse à genoux, et je vise sa tête malgré l'obscurité alors que son corps tressaille encore sur le sol. Je presse à nouveau la détente. Un nouveau « piou » mécanique et une tâche sombre apparaît sur son crâne. Dominant son corps, je médite un instant. Sois en paix, maintenant, avec ton mari, et avec tes parents. Le premier allait être débranché dans les jours à venir, en état de mort cérébrale, puisqu'il avait été sous le coup de bien trop de dioxyde de carbone, dans l'incendie qui avait justement tué les seconds. Le temps de signer les papiers, et l'hopital allait faire de cette fille une créature seule et désespérée. Elle était rentrée, pour se laver un peu, essayer de ne pas craquer, prendre une bonne douche pour y retourner, pour assister, dévastée, à la mort véritable et définitive de son époux. Adieu, j'espère que tu seras heureuse avec eux, de l'autre côté. Rendez vous bientôt.


Je soupire et me relève. Quelque chose, en périphérie dans mon champ de vision, m'alerte. Trop tard.


La vitre pète et j'ai l'impression de me prendre un mur en pleine gueule.


Le verre brisé rebondit par terre en tintant alors que je sens mes veines pulser au rythme de mon cœur dans mes tempes. Je vois un peu flou, comme après un gros coup dans la tronche. Allongé par terre. Je passe ma main devant mon visage, me forçant à me reconcentrer, à bien voir mes doigts bouger. Là. Je vois mieux. Je porte mes doigts à mon front. Un filet de sang coule depuis mon cuir chevelu, jusque sur mon masque renforcé. La coupure n'est pas profonde, mais ça pisse le sang. Deux millimètres plus à gauche et j'avais le crâne pulvérisé, malgré l'acier et le securit du masque. Il m'a loupé à un dixième de seconde, un reflet, une estimation rapide de ma vitesse à me relever. Je redresse le regard vers la fenêtre brisée. Il m'a eu par le côté, légèrement plus haut. J'ai suffisamment vu mes gars tirer des mecs au fusil de précision pour savoir comment ça fonctionne. Je dois me tirer. Par la rue, il va me shooter et on va me voir. Si je reste ici, il va changer de position et va me tirer dessus aussi. D'instinct, je sais ce que je dois faire. Je cours au travers de la pièce, ouvre la fenêtre à l'opposé et me glisse dans la cage de l'escalier de secours. Je suis dans un angle mort, pour lui. Il va devoir me courir après. Et s'exposer. Qui est l'enfoiré qui veut m'abattre ? J'accueillerai la mort avec gratitude quand elle viendra, mais je suis pas du genre à laisser tomber. S'il me veut, il va devoir me poursuivre et se mettre à découvert... Une fois en bas, titubant toujours sous le choc, je m'enfonce dans les ruelles de service entre ces immeubles, restant dans l'ombre le plus possible...

J'ai un mal de crâne abominable et mon oreille droite siffle, à cause du choc et de la chute. Pourtant, je reste concentré sur mon environnement. Je n'ai rien bu, ce soir. Parfaitement sobre et alerte, des années d'expérience commando et comme agent spécial remontent et la mémoire musculaire prend le dessus ; mes membres exécutent d'eux-mêmes des gestes devenus instinctifs. Sauter par dessus la rambarde, me retrouver à couvert de l'autre côté de l'appartement. Mes mains se calent de part et d'autre de l'échelle de secours, je serre alors que mes pieds se calent de la même manière et serrent. Il suffit que je lâche très légèrement la pression de l'un comme de l'autre pour glisser en sifflant le long de la rame métallique. Pourtant, j'attéris lourdement au sol, haletant. C'est que c'est pas si facile que ça, de faire le casse-cou. Je trébuche, désorienté, contre un bac de poubelle sur mon passage. Pas de choc, ni de réelle douleur car j'ai cogné le coin métallique avec mon gilet pare-balles en kevlar, si rigide que j'ai à peine senti l'impact. Mais quand même. Je reprends ma course, oreilles grandes ouvertes et me fiant autant que possible à mon odorat et à ma vue, même si sous mon masque ce n'est jamais particulièrement aisé. Je cours dans la rue. Je bouscule un type, probablement un SDF.


Mon poursuivant est un tueur de qualité. Il savait où je serais, putain, il savait. Il m'a loupé à un cheveu, ce qui ne dénote pas qu'il est nul, bien au contraire. On loupe infiniment plus de tirs qu'on l'imagine en étant tireur d'élite ; le sniper de ma section autrefois, avait un très bon ratio et pourtant, son pourcentage de coups au but du premier coup n'était pas si élevé que cela au cœur de l'action. Bref. Je cours et pourtant je sais que ça ne résoudra rien. Fuir par les égouts lui donne toute la latitude de me retrouver aux sorties. Fuir au grand public me dévoile. Je n'ai pas le choix, je ne peux que me retourner et me battre. Il doit être déjà proche. Il a su me cibler en pleine nuit, malgré les reflets des lampes de rues sur les vitres. Il a une lunette thermique, c'est obligatoire, à moins qu'il fasse partie de ces salopards à moitié humains trafiqués par tout un tas d'organisations, mais même comme ça il ne peut pas voir au travers des murs. Je m'appuie sur un tas de détritus et saute sur le rebord d'un container à déchets, au coin d'un immeuble. Puis, je me laisse tomber en arrière au milieu des détritus. J'attends. Sans un souffle.


Si mes calculs ne sont pas à côté de mes pompes, alors il va pas tarder à débarquer, et pourra pas me voir au travers d'un acier si épais. S'il est un abhumain ou un demi dieu, alors je suis mort. Quoi de mieux qu'une benne pour une ordure ?


J'entends des bruits de bas, lestes et légers, presque furtifs. Pourtant en tendant l'oreille, j'ai la sensations que le type est en armure. J'attends qu'il se rapproche, pour me lever et bondir sur mon agresseur en usant du bord de la benne pour tirer sur mes bras et me jeter en avant. Nous roulons au sol et je me relève, décidément cette soirée est brutale et sans concession.


Est-ce maintenant ? Est-ce l'heure ?


Je me redresse alors que mon flingue n'est plus dans son holster mais qu'il est séparé de son fusil de précision. Je relève les poings devant moi, bien campé sur mes appuis.


| Tu chasses les tueurs ? Viens donc te regarder dans un miroir... |


Et me jette sur lui, visant son visage. Il fallait à tous prix que je le tienne éloigné de son flingue, ou alors, je meurs. Je suis bon tireur mais mes tripes me font sentir qu'il est bien meilleur que moi à ce petit jeu là.

J'avais toute son attention alors que nous venions de nous percuter d'une manière diablement violente. Il fallait dire que j'y avais mis du cœur, et malgré cela j'avais bien senti sa robustesse et sa résistance. Comme moi, il disposait d'une sorte d'armure tactique. Mais là où mes moyens me limitaient aux protections militaires classiques, sa propre carapace semblait parfaitement adaptée à son propre corps, jusqu'à cet espèce d'oeil rouge qu'il avait, probablement une lunette d'un genre nouveau, pour une précision plus près encore du centre d'analyse de tout soldat ; son cerveau. Je n'en savais rien et je m'en fichais. Ce type avait des protections au minimum aussi efficace que les miennes et il était excellente tireur, bien plus que je ne le serais jamais. Il était costaud ; j'étais presque sûr qu'il me rendait plusieurs kilos et il avait visiblement l'habitude de s'en servir. Le voilà qui se redresse, visiblement ravi de la résistance. Je m'efforce à ne pas me sentir en infériorité. J'ai tué pendant presque toute ma vie, autrefois pour des raisons publiquement légitimes, mais plus aujourd'hui. J'avais déjà flingué des types en surnombre, et démonté des plus costauds. Ton esprit est ton meilleur allié, Mirror. L'assassin me balance qu'il reste là pour la prédation. Je ne me laisse pas déconcentrer par son calme. Moi aussi, je sais ce que je vaux. Et si je meurs et bien, tant pis. J'aurais fait ce que j'aurais pu.


Son espèce de casque qui ressemblait à un masque, très près du crâne, absorbe le choc. Heureusement que mes gants sont renforcés aux jointures, sinon je me serais probablement pété la main. Saloperie, ce type est aussi costaud qu'il est mortel. Ca commence à prendre une tournure autrement plus dangereuse, cette affaire... A plusieurs reprises je le cogne, en pleine mâchoire, sur le pommette, la tempe après un joli doublé. Mais il est là, et se redresse. A part l'énergie cinétique absorbée par son masque,  il ne semble pas le moins du monde malmené par mes coups. Il bondit en avant et cogne en plein dans mon masque, m'assommant à moitié sous le choc alors que le securit a absorbé les dégâts, mais il doit être endommagé. Heureusement, l'acier me protège de micro-éclats éventuels. Je recule, chancelant malgré l'expérience à cause de la violence du choc. Seigneur, qu'est ce que c'est que cette horreur que j'affronte, encore ? Je bloque un direct en levant l'avant bras, encaisse un coup dans le kevlar, encore un autre dans le masque. Je pare, je me fends et bloque. Saisissant son poing par le côté en me décalant, aussi vif que possible, je lui balance un revers en plein dans la mâchoire mais comme d'habitude, le coup est bloqué. Impasse. Il est fort et définitivement mieux équipé. J'encaisse un coup plus rude que les autres. Je recule, mais sans tenter le tout pour tout avec mon flingue à portée, j'avais peur qu'il ai le temps de bondir à couvert le temps de plonger pour le saisir. Je devais trouver une autre solution, moins évidente.


| Qui t'a envoyé, bordel ? T'es pas un flic, mêles toi de ce qui te regarde. | crachais je en même temps qu'un glaviot de sang, comme je le pouvais, au travers du masque |


Je bloque un nouveau coup qui aurait pu me casser des côtes, et lui expédie mon front en direction du sien. Je commençais à fatiguer. Je passe contre la garde et plutôt qu'asséner un coup, je tire dans le prolongement de mon geste mon crève-coeur que je remonte pour tenter de poignarder mon terrible adversaire aux jointures des protections pour les percer ; je savais que je ne le tuerais pas comme ça mais je tentais de me ménager une ouverture en le blessant.

[i]Ce salopard est fort, il est rapide, il est costaud et il est aidé d'une technologie offensive et défensive de premier plan. Si je le laisse faire, si je lui laisse une ouverture, s'en est fini. Je ne peux pas me le permettre, même si c'est sans doute ce que je désire le plus au monde. Je ne peux pas le laisser m'écarter de ma mission. Le type s'amuse de la situation. Je comprends que ce qui est de la survie pour moi n'est qu'un jeu pour lui. J'ai déjà noté son arrogance et sa suffisance. Il est plus fort et il le sait, pour lui cela suffit. Il va donc me lâcher une information. Peut-être qu'elle n'aura que bien peu de valeur, mais il n'en reste pas moins qu'elle en aura une malgré tout. Je ne me laisse pas décontenancer par sa phrase. Piège ou pas, je l'imprime mais sans me laisser détourner de notre combat qui vire au pugilat pur et dur. Je me fiche aussi de sa pique. Je ne lui aurais accordé le plus petit regard non plus, si je souhaitais être honnête. Nous nous ressemblions sans doute un peu, mais nous n'étions pas les mêmes pour autant. Je me concentre sur mes enchaînements, anticipant au mieux ses gestes. Je pare, contre-attaque alors qu'il vacille. Ma lame percute sa protection et glisse contre, nuisant à son efficacité mais je sens malgré tout le contact de la chair au travers de ma lame.


Choc violent dans mon ventre, qu'encaisse pour partie mon gilet mais je me sens les tripes nouées et lorsque je percute une palissade, une sorte de mur de remise, je passe au travers. Souffle coupé. J'ai mal au dos, tout raide, et j'ai l'impression de m'etre mangé un obus en pleine gueule. Je gémis de douleur au sol, serrant les dents, inspirant de grandes bouffées d'oxygène. Je suis dominé, mais je ne me rendrais pas. Jamais. Résiste ou crève. Et je ne mourrais pas sans avoir d'abord tout donné. Je rampe, blessé et à moitié dans les vapes, vers l'arrière de la petite pièce. Je ne sais pas ce qu'il fait, mais je m'en fiche. Il me laisse de précieuses secondes. Sous mon masque, je sue à grosses gouttes et je crache un nouveau glaviot de sang au travers de la fente de ma bouche, maculant mon menton et le haut de mon pare-balles. Je rampe encore et utilise une pile de caisses pour me hisser sur mes pieds. Ma main se referme sur un pied de biche. Arme dérisoire, mais je me battrais jusqu'au bout. Mes gants se serrent autour de l'arme improvisée, crissant doucement. Alors qu'il passe par l'ouverture, je me jette en avant en abattant mon arme improvisée en direction de son visage.


| Ce n'est pas un JEU! | lui hurlais je au visage


Je récupère mon arme et tente un coup vicieux en direction de son genoux, pour lui luxer ou lui briser. Mais je suis moins vif, moins rapide. Lui aussi.


| Je suis pas de sortie ce soir pour te donner la mort, mais si tu insistes, affrontes ton destin. |


J'essaie, encore et encore, de le rouer de coups.

La barre en fer l'atteint sur le coin du visage. Je sais qu'il a un casque renforcé, bien que ne l'handicapant pas pour tirer ou se battre. Je ne visais pas à le dessouder comme ça, je sais que ce type a une armure qui m'est impénétrable à mains nues, et les armes contondantes n'ont jamais été le meilleur moyen de s'en sortir face à un ennemi costaud. Mais je gagne du temps. Je l'épuise en essayant de ne pas trop m'épuiser moi-même. Je ne sais pas ce que j'espère de ce combat d'attrition, mais je ne suis plus guidé que par la survie, au moment où l'instinct est le plus pur, débarrassé de toutes autres pensées parasites. Il est encore rapide, cependant, et je ne parviens pas forcément à le mettre en danger comme je l'aurais voulu. Il retire sa jambe et l'arme improvisée ne trouve que le vide. Il me rétorque une fois encore sa supériorité, que j'ai certes déjà intégrée depuis le début de ce combat, mais surtout qu'il ne veut pas mourir. Un avantage pour moi. Je l'entends ensuite parler mais comme à quelqu'un d'autre, dans son casque. Son commanditaire ? Ce serait logique. Je ne sais pas ce que cela veut dire mais comme d'habitude, je ne me laisse aucunement déconcentré. Je ne pense plus qu'au combat, à mes mouvements, aux coups que je prends et ceux que j'évite et bien sûr, à ceux que je distribue.


L'homme me prend le bras et me repousse. Je recule en dérapant, pour retrouver une posture solide, me campant à nouveau sur mes deux jambes, prêt à en découdre, reprenant mon souffle autant que possible. J'observe alors son petit manège, retirant ses plaques de protection. Probablement du Kevlar, peut être un nouveau genre de polymère. J'ai compris qui il était en me battant contre lui, maintenant que mon esprit avait dépassé le choc de la balle et de la traque. On en avait entendu parlé, à la DIA. Et d'un coup, plus rien. Certains pensaient qu'il agissait toujours. Ce soir, j'en avais la preuve. On avait su beaucoup de choses, à l'époque. Mais le gouvernement avait fermé les yeux, et les huiles nous avaient lancés sur d'autres pistes. Je ne sais pas qui il est vraiment, je ne connais jamais que son surnom. Il me confirme qu'il a eu une communication, en me disant que je ne suis plus une cible. Il veut maintenant me tester. Je ne sais pas pourquoi et je m'en moque, mais je sais que le fait de ne plus être sa cible attitrée ne me met pas à l'abri. Je plisse les yeux en le voyant se rapprocher. Je décroche mon propre pare-balles qui tombe par terre. Tout n'est peut être qu'une ruse, mais je m'en fiche.


| Je ne mérite pas le respect. Pas plus que toi, tueur. | dis je en bondissant à sa rencontre.


Je parviens sans trop de mal à éviter son direct en plein visage. Ma position, agressive, m'a mis en danger et alors que je vais lui envoyer un énorme coup de poing dans le bas ventre c'est sa jambe qui vient cogner contre ma hanche, me faisant voler sur le côté, glissant sur le sol. Ma tête cogne contre le mur et je vois des points noirs partout dans mon champ de vision. Autant de fleurs de sang qui un instant me font tourner la tête. Pourtant, je reste focalisé sur lui. Une vie d'entraînement pour ça. Suivre une mission, une seule. Je me redresse mais, épuisé et malmené, endolori, je dois m'aider de mes mains. Je ne parviens pourtant pas à adopter une position de combat très assurée.


| Je ne te ressemble pas. Pourquoi tu tues ? Pour l'argent ? Pour le plaisir ? Je ne le fais ni pour l'un ni pour l'autre. C'est mon devoir. |


Je le fixe, lui renvoyant sa propre image par mon masque.


| Et seule la Mort met fin au Devoir. |


Je me jette à nouveau contre lui, visant son a poitrine des coups les plus puissants dont j'étais encore capable, et au bout de deux, j'essayais de parachever l'enchaînement d'un coup en pleine mâchoire pour en finir. Mais j'avais sacrifié un appui solide pour des coups plus puissants, et m'envoyer comme ça sur l'avant faisait de moi une cible plus fragile. Il était temps d'en finir, dans un sens comme dans l'autre.

Je saigne de la lèvre inférieure, malgré le masque. J'aurais pris bien plus cher sans lui, mais il avait violemment pressé contre ma gueule et m'avait écrasé cette partie charnue, qui avait pété et pissait le sang sur mon menton et dans mon cou. Mais il n'y avait pas que ça. J'avais l'impression que l'arcade qui avait encaissé un de ses coups de poing avait lâché, car je me sentais un peu assommé même quand j'étais débout et toute cette partie-là de mon visage était engourdie et brûlante, comme après un coup particulièrement violent. Sans nos masques, sans nos tenues, nous aurions probablement été en pièces. Le voilà qui me nargue à nouveau, visiblement fort amusé de la situation. Ce qu'il dit a du sens, mais cela me renvoie à ma propre félonie, à ma propre culpabilité. Il m'appelle le bleu. Alors que j'ai fait mes classes dans l'un des pires centres d'entraînement de ce pays, que j'ai mangé pendant des années sur les théâtres les plus chauds qui soient à l'étranger, que j'ai tenté de libérer Gotham sous Bane, sans plus de succès qu'en me confrontant aux kryptoniens à Smallville. Il était pourtant une classe au dessus. Je ne saurais dire s'il était vraiment plus fort que moi. Mais il était en tous cas en bien meilleure condition physique, je buvais trop et il avait tous les équipements de mort et de protection qui allaient bien avec l'ensemble de ses talents, tournés vers la mort et la destruction. Si certains de mes ennemis les plus implacables avaient pu apparaître impossible à arrêter, comme Bane, lui était d'une trempe différente. Je fronce les sourcils.


| Je n'ai aucun honneur. Cela n'enlève rien à la nécessité de ce que je fais. |


Se fendre, attaquer, défendre. Je lance l'offensive tout azimut ; je parviens à le faire reculer à force de coups et de mandales assez violentes, mais en tentant de pousser mon avantage comme seul un joueur ou un parieur l'aurait fait, j'ai commis une faute. Il s'écroule alors que je m'apprétais à le culbuter dans mon élan pour le démolir, et ce faisant, il me fait tomber avec lui dans une prise vieille comme le monde et efficace seulement défensivement. Trop rapide et trop faible pour parvenir à changer la donne avant la fin, je suis catapulté la tête vers le bas contre le mur de derrière et j'attéris lourdement, même si par réflexe je présente les épaules, je rebondis et une de mes genouillères tape contre une table métallique et se défonce, cause une douleur vive dans mon genou. Je serre les dents, malade et nauséeux comme après un tour de montagnes russes sans ceintures.


Je reste sur le sol, à moitié assommé, le crâne perclus de douleurs malgré le masque alors que j'avais bien du mal à reprendre ma respiration. Je toussais de fines gouttelettes de sang en une violente quinte de toux qui me secoua, malgré mon manque total de forces. J'entends vaguement sa voix alors que je m'attends à être achevé, mais non. Sa voix est plus lointaine. Je suis incapable de répondre. Pendant plusieurs minutes, je suis incapable de quoi que ce soit. Je me relève ensuite, péniblement, en entendant les sirènes de police. Ce quartier est merdique, mais il n'empêche qu'il y a encore quelques bonnes âmes, qui cherchent justement à se protéger du mieux possible d'hommes tels que moi. Chancelant, je titube dans la rue et m'enfonce dans la nuit et l'obscurité. Je percute le décor plusieurs fois, et m'enfonce dans une bouche d'égout avec mes dernières forces. Puis, je m'effondre un bon moment, reprenant mon souffle, retirant mon masque. Je suis en sueur et poisseux de sang.


Que me voulait donc ce type ? Pourquoi a-t-il cherché à m'abattre et puis m'a laissé en vie ?


Je me demande si je ne vais pas mourir en rentrant chez moi, si un petit comité d'accueil ne m'est pas déjà destiné. Et finalement, titubant dans l'obscurité, je me rends compte que je m'en fiche.