"Who Watches The Watchmen?!" Alors que des centaines de pancartes étaient encore brandies à travers la ville, un journaliste demeurait l'un des fervents défenseurs des Watchmen. Il ne comprenait pas l'acharnement du public contre ceux qui les avaient jadis protégé. Il avait donc contacté Laurie Jupiter pour lui donner la parole et lui laisser sa chance de se défendre contre la multitude d'accusations, plus fausses les unes que les autres, qui pesaient sur elle et les siens. Spectre Soyeux n'avait pas hésité une seule seconde à saisir cette opportunité, ravie de voir qu'il restait encore une personne qui croyait en eux. Chose qu'elle n'avait fait que rarement jusque là, elle avait accordé une interview à ce journaliste, chez elle. Ainsi, elle avait espéré lui prouver qu'elle était une citoyenne comme les autres, aspirant seulement à faire régner la justice. Laurie l'avait donc accueilli avec tous les égards qu'il méritait, mettant les petits plats dans les grands. Elle espérait réellement que cette interview pourrait peser dans la balance et lui permettre de retrouver son costume de Spectre Soyeux qui lui manquait tant. L'interview s'était déroulée à merveille jusqu'au moment où Laurie commença à voir flou. Prise de nausées et de vertiges, elle ne tarda pas à comprendre quel piège était entrain de se refermer sur elle. Son thé... Le journaliste y avait ajouté un petit ingrédient secret alors qu'elle farfouillait dans ses archives pour lui retrouver le premier cliché des Watchmen. Mais il était trop tard, le poisson avait mordu et le retrait de l'hameçon s'annonçait d'ores et déjà bien sombre. Alors qu'elle s'écroulait sur sa table basse, sentant chaque petit morceau de verre s'immiscer sous sa chair, elle entendit plusieurs voix se rapprocher d'elle.

Alors c'est elle la salope en latex?

Elle m'a pas l'air si coriace que ça.

Droguée, Laurie était dans la totale incapacité de se défendre et lorsqu'elle sentit une poignée ferme et déterminée l'attraper par les cheveux, elle ne put rien faire à part subir. Son long calvaire ne faisait que commencer. Les cinq intrus avaient planifié leur coup à merveille et elle avait foncé tête baissée. Durant des heures, Laurie se fit littéralement lyncher sans autre forme de procès. Pour eux, elle était coupable et ne méritait aucune pitié. Le gouvernement avait demandé aux Watchmen de disparaitre mais pour ces pourritures, ce n'était pas assez. Ils voulaient frapper un grand coup et couper l'envie aux gardiens de revenir sur le devant de la scène. Laurie en fut la malheureuse victime. Père de famille, mari aimant, citoyen modèle, chacun de ces hommes menait une vie tout à fait normale. Il ne s'agissait pas de criminels ou de voyous, mais tout simplement de militants anti-Watchmen. Laurie comprendrait plus tard tout cela, les pires monstres se cachent souvent derrière les plus beaux masques. Chacun leur tour, ils lui firent subir les pires sévices avant de la laisser pour morte, à moitié nue, baignant dans son propre sang. Et alors que le silence de l'aube contrastait admirablement avec l'horreur qui s'était déchainée durant la nuit, Spectre Soyeux reprit soudainement connaissance. Le visage méconnaissable, le corps tuméfié et la respiration haletante, elle réussit tant bien que mal à attraper son téléphone pour appeler de l'aide. Vingt minutes plus tard, les secouristes arrivaient mais Laurie n'était déjà plus là. Son coeur avait tout simplement cessé de battre, la plongeant dans les ténèbres éternelles.

Mais ce n'était pas encore l'heure pour Spectre Soyeux et trois semaines plus tard, elle se réveillait dans un lit d'hôpital. Malheureusement pour elle, elle n'avait rien oublié de ceux qui l'avaient envoyé ici. La honte et une infinie tristesse s'étaient alors emparées d'elle. Comment avait-elle pu les laisser faire ça? Comment avait-elle pu se faire avoir? Sa convalescence avait été longue et douloureuse mais cela lui avait permit de réfléchir à son passé, à son avenir. Cela lui avait aussi et surtout permit de réfléchir à sa vengeance. Allait-elle envoyer ces hommes en prison, d'où ils ne tarderaient pas à sortir, ou allait-elle les mettre hors d'état de nuire pour toujours? Une chose était sûre, elle ne laisserait personne d'autre lui rendre justice, elle devait régler ça elle même. Durant des semaines, Laurie traqua ces hommes sans répit. Elle les observait, les épiait, essayant de les comprendre ainsi que leurs motivations. Et alors qu'elle se perdait dans des pensées bien sombres, l'issue de cette traque se dessina enfin. Ils devaient payer le prix fort. Avant ce drame, Laurie n'aurait jamais ne serait-ce qu'effleurer une telle idée mais la jeune femme devait se rendre à l'évidence, Laurie Jupiter était morte cette nuit là, elle avait laissé place à une âme torturée et ivre de vengeance. Ce fut dans un bain de sang que Spectre Soyeux obtint cette fameuse vengeance, ne laissant aucune chance à ses tortionnaires, comme eux ne lui en avaient pas laissé. Avec un plaisir malsain, elle avait prit chacune de leur vie, ressentant une puissance et un bien être qu'elle n'avait, jusque là, jamais soupçonné. Une phrase résonnait alors en boucle dans les méandres de son esprit. "Ils ne veulent pas de moi comme justicière, alors je n'en serai plus une." Sa carrière de mercenaire venait de commencer.


Depuis maintenant deux semaines, Laurie était sur le plus gros contrat qu'elle ait jamais eu. Un riche homme d'affaire de Gotham avait fait appel à ses services pour éliminer une dizaine de cibles. Le client de Spectre Soyeux II se trouvait d'ailleurs en prison à cause de ces cibles. Il avait donc toutes les raisons du monde de leur en vouloir et de leur souhaiter une mort à la hauteur de leur trahison. Particularité du contrat, le client avait demandé à Laurie de prendre son temps, d'espacer les assassinats pour que chacun puisse attendre sa mort dans l'angoisse et la terreur d'être le prochain. Spectre prit donc un grand plaisir à mettre en scène ces crimes, poursuivant parfois ses cibles à l'autre bout du pays. Tous des criminels, des sales types dont la mort ne posait aucun problème de conscience à Laurie. De retour à Gotham, Spectre avait gardé le meilleur pour la fin, la tête qui allait lui rapporter le plus d'argent. East End, Park Row, voilà où elle pourrait le trouver. Toxico jusqu'à la moelle, il ne pourrait résister à l'envie de remplir son stock malgré le danger qui planait au dessus de sa tête. Spectre avait fait ses devoirs et elle savait que ce soir, il viendrait. Dissimulée dans les ténèbres au dernier étage d'un vieille immeuble puant l'urine et la sueur, elle attendait patiemment, guettant chaque ombre, chaque mouvement. Deux heures plus tard, il était enfin là. La cible était en vue.

Soudain, un grincement, quelqu'un était là. Spectre eut juste le temps de se retourner pour voir un grappin arriver droit sur elle. Elle fit donc un mouvement de recul mais elle comprit rapidement qu'elle n'était pas visée. Celui qui avait fait ça ne voulait donc pas la tuer, pour le moment. Et Spectre savait très bien qui était derrière ce coup de théâtre. Ce grappin, elle l'aurait reconnu entre mille, Rorschach l'avait donc retrouvé. Dans un vacarme assourdissant, la vitre de la fenêtre se brisa, faisant fuir celui qu'elle devait arracher à la vie. Laurie savait que le justicier masqué n'était pas là pour faire un brin de causette. Il devait très certainement connaître le changement d'orientation de l'ancienne Watchmen. Elle ne fut donc pas surprise de recevoir une salutation aussi musclée de la part de Rorschach. Il n'était déjà pas très chaleureux à l'époque où elle était justicière, pas étonnant donc qu'il le soit encore moins maintenant qu'elle était mercenaire. Plaquée au mur, la main de Rorschach autour du cou, Spectre restait stoïque, ne montrant aucune émotion. Cela faisait bien longtemps qu'elle avait réussi à les étouffer et aujourd'hui, cela ne lui faisait ni chaud ni froid de voir son ancien compagnon se retourner contre elle.

Je mentirais si je disais que je suis ravie de te revoir Rorschach... Tu n'as vraiment rien de mieux à faire que de m'empêcher de faire mon travail? Tu viens de laisser filer une véritable pourriture tu sais.

Laurie s'arrêta un instant, dévisageant le masque de Rorschach.

Henris Austin? Clean? Tu sais tout comme moi que personne n'est jamais vraiment clean. Il n'avait rien d'une demoiselle en détresse crois moi.

Grâce à son client, Spectre avait su bien des choses sur ce Henris Austin, des choses que personne ne pouvait savoir. Il était tout sauf innocent, elle en avait eu la preuve. Mais elle comprenait que Rorschach se soit fait duper, Austin savait cacher son jeu jusqu'à ce qu'il croise le chemin de Laurie. Il n'avait plus rien à cacher maintenant.

Lâche moi maintenant.

Dit-elle sur un ton beaucoup plus sombre et menaçant.

A quoi s'attendait-il? A ce qu'elle s'effondre en larmes sous le poids de la honte et de la culpabilité? Et bien non... Laurie Jupiter n'était plus la même. Elle n'était plus cette petite chose fragile qui se souciait du regard des autres. Désormais, elle était mercenaire et elle en était fier. Peut être n'aurait-elle pas réagi de la même manière face à Dan Dreiberg, l'être qui la connaissait le plus au monde. Le seul pour qui elle avait encore des sentiments aujourd'hui. Oui, Spectre Soyeux ne savait pas comment elle réagirait si elle était amenée à se retrouver de nouveau face au Hibou. Mais la question ne se posait pas encore, elle était face à Rorschach et personne d'autre. La situation était donc bien plus simple. Mais ce dernier resserrait son étreinte au cours du cou de Laurie et la jeune femme crut alors ne plus avoir le choix. Elle n'avait pas envie d'en venir aux mains avec Rorschach, elle n'en voyait, pour le moment, pas l'intérêt. Mais s'il continuait à lui tenir tête ainsi, elle n'aurait effectivement pas le choix.

Finalement, il se décida à l'écouter, lâchant l'ancienne justicière, reculant de quelques pas. Laurie se massait alors le cou tout en observant attentivement le masque de Ror. C'est qu'il avait de la force le Rorschach. Il était petit certes, mais il possédait une rage et une puissance qui lui auraient permis de soulever des montagnes. Comme à son habitude, il plongeait les mains dans ses poches, Laurie eut alors presque l'impression d'être revenue, l'espace d'un instant, dans le passé, à l'époque où les Watchmen se réunissaient pour parler de leur plan d'actions. Mais cette fois-ci, cela n'avait rien à voir, l'ennemie était Spectre... Ror ne tarda pas d'ailleurs à passer à l'attaque. Il la comparait à une vulgaire braqueuse de banque. Laurie esquissa un sourire, elle le trouvait amusant. Finalement, il n'avait rien comprit à ce qu'elle était devenue. Spectre en était déçue mais pouvait-elle l'en blâmer? Elle ne s'était confiée à personne, nul ne pouvait donc savoir ce qui la poussait à agir ainsi.

Je suis bien plus qu'une vulgaire braqueuse de banque Ror et tu le sais.

Se contenta t-elle de répondre avec une certaine arrogance. C'est alors que Rorschach se lança sur un terrain épineux en prononçant le nom de Dan. Il se demandait si ce dernier approuvait? Une question rhétorique sans doute puisqu'il était totalement impossible que le Hibou cautionne un tel comportement. Mais l'évocation de son ancien amant déstabilisa quelque peu Laurie. C'était sans nul doute l'effet escompté par Rorschach. Même s'il n'était pas du genre à s'intéresser aux histoires de coeur, il n'était pas sans savoir qu'elle et Dan s'étaient aimés d'un amour puissant et sincère. Il savait donc que Dan était la plus grande faiblesse de Laurie. Voilà d'ailleurs pourquoi la jeune femme ne pouvait se résoudre à reprendre contact avec lui, pourquoi elle ne pouvait s'abandonner aux sentiments qu'elle ressentait encore pour Dan. Ror poursuivit en disant qu'il avait toujours cru que Dan et Laurie seraient restés les plus intègres du groupe. Il s'était lourdement trompé.

Tu as raison Ror, tu te trompes beaucoup ces derniers temps. Je ne pense pas que je peux m'en sortir sans écorchure, j'en suis sûre. Je ne laisserai plus jamais personne me mettre à terre ou m’enchainait à un rôle qui ne me convient pas. Je suis libre désormais Rorschach et tu ne m'enlèveras jamais ça, personne ne le pourra.

La flamme de la révolte et de la détermination brillait dans les yeux de Spectre. Elle n'avait jamais oublié ce que les militants anti-Watchmen lui avaient fait subir. Elle n'avait jamais oublié l'abandon des autorités et du grand public, cela lui restait en travers de la gorge et nourrissait sa colère. Laurie Jupiter était devenue sombre et rancunière, ivre de vengeance et hautaine. Un mélange qui ne pouvait faire que des étincelles.

Alors un conseil, écartes toi de mon chemin et oublies moi.

Dit-elle en se dirigeant vers la porte de ce taudis. Laurie était prête à fermer les yeux sur l'attitude de Rorschach à son égard, au nom du "bon vieux temps" sans doute. Elle s'apprêtait donc à le quitter, lui tournant le dos comme lui l'avait déjà fait à de multiples reprises. Spectre était fermée à la discussion, elle n'avait pas envie de se justifier et surtout pas auprès de Ror. S'il voulait que l'entretien se poursuive, il devrait la retenir de force.