C’était presque un instant solennel. La main hésitant, je déposai sur le rebord de l’évier la paire de ciseaux avec laquelle je venais de livrer un ardu combat avec mes cheveux. J’avais toujours vécu avec une coupe relativement courte et bien taillée, et ce, même avant que je rentre au sein du corps des Marines. Obéir à une coupe réglementaire ne m’avait jamais posé de soucis puisque je n’avais eu de cesse de me coiffer d’un carré propre et court. Une coiffure qui me définissait, qui faisait amplement partie de moi-même. Mais une coupe qui avait fait ses adieux depuis mon séjour sur l’île du Paradis. Neuf mois où mes cheveux avaient eu le temps de pousser, de devenir long comme jamais, et de me gratifier d’une crinière de feu que je n’aurais jamais cru possible ou envisageable. Une nouvelle coiffure pour une nouvelle personne que j’étais devenue. Une femme à part entière de cette île, de ce paradis, de Thémyscira. Cela, au point d’en oublier la femme que j’en avais été avant. Cette femme de la ville. Cette femme au cœur des tourments et de la guerre qui se déroulait continuellement dans une ville bien trop sombre que pour y accueillir une âme innocente. Je n’étais plus entièrement cette femme, mais je n’étais pas non plus une Amazone à part entière. En un certain sens, je dirais que je suis devenue un mélange de l’une et de l’autre. Et comme tout changement de personnalité s’accompagne d’un changement physique, j’avais décidé de marquer cette transformation par une toute nouvelle coupe. Mi-longue, tombant de manière lisse et droite sur le sommet de mes épaules. Semi-héritière de Gotham, semi-femme guerrière de Thémyscira, je contemplai le résultat avec un mélange de surprise et de satisfaction. Cette coupe était différente et nouvelle. Pourtant, c’est comme si au plus profond de moi, elle m’apportait ce nouveau visage et cette nouvelle apparence que je voulais avoir. J’étais impatiente d’en découvrir la réaction de Diana face à ce résultat ! Mais pour l’heure, je me contentai simplement de nettoyer la salle de bain et de me prélasser par la suite sous une bonne douche bien chaude.

Plusieurs dizaines de minutes plus tard, je me pavanai librement dans l’immense appartement de l’ambassadrice amazonienne, simplement vêtue d’un de mes éternels débardeurs accompagné d’un simple minishort. Tenue parfaite pour laisser respirer son corps et se sentir on ne peut plus à l’aise ! Installée dans ce domicile plus que confortable, et libre de m’y sentir comme chez moi, j’avalai un verre de jus d’orange avant de m’octroyer le plaisir d’un bon pot de glace à la vanille. Rien de mieux, rien de plus parfait comme accessoire pour s’affaler dans le grand canapé et profiter de la télévision. Quelque part, je comprenais que Diana avait beaucoup à faire mais je trouvais dommage qu’elle n’était pas là pour profiter d’une simple après-midi de ce genre. Cette bienfaitrice, cette amie, cette sœur était devenue une personne très importante pour le rôle qu’elle avait joué dans mon rétablissement. Et, indirectement, je sentais qu’elle aurait aimé profiter de quelques instants de liberté comme celui que je m’offrais allègrement là, tout de suite. Enfin, ça, c’était en théorie… Car je déchantai bien rapidement lorsque j’allumai ladite télé… !

« …te à l’heure. Nous avons appris que la police de Métropolis avait fait appel à l’un de ses négociateurs pour tenter de résoudre le plus pacifiquement possible cette prise d’otage. Nous vous rappelons que les preneurs d’otages sont, aux dernières nouvelles, au nombre de cinq. Le nombre d’otage quant à lui s’élève à plus d’une vingtaine. Nous avons essayé de joindre notre collègue sur les lieux, et victime de ce braquage, Loïs Lane. Malheureusement, aucune nouvelle de notre consoeur jusqu’à présent. Il est d’ailleurs à noter qu’à l’heure où les autorités s’interrogent sur le bien fondé du héros à la cape rouge, tout le monde demeure avec une seule question aux bords des lèvres : que fait Superman ?! »

Que fait Superman ? Cette journaliste était sérieuse ? Il se passait quelque chose et là, tout le monde se tournait vers un héros présenté comme un danger public afin d’attendre que la crise se règle d’elle-même ? La présence d’être surpuissants et de justiciers en tout genre avait-elle été telle que la police ne prenait même plus la peine d’agir avec un minimum d’efficacité ? Une question réthorique que cette intervention faisait naître dans mon esprit. Gotham était ce qu’elle était. Mais aussi corrompues soient certaines branches des forces de l’ordre, la police demeurait toujours le premier rempart ! Et ce, autant envers les criminels que les justiciers et pseudos héros eux-mêmes. Une façon comme une autre de se protéger si l’on peut dire.

Armée de mon pot de glace, je tentais désespérément d’en avaler la moindre cuillérée mais, je n’arrivais tout simplement pas. Comme tous les directs dans ce genre de circonstance, les journalistes n’avaient de cesse de recasser tous les évènements au compte goute et en boucle. À chaque fois la même présentation des faits. À chaque fois les mêmes commentaires. À chaque fois la même mention des victimes en présence. Ca ne cessait de marteler mon cerveau, de cogner dans un coin de ma tête avec violence comme pour y enfoncer une porte entrouverte. Pas de Superman à l’horizon. Un négociateur qui tardait à arriver. Les minutes qui s’écoulent inlassablement sans que personne ne bouge, sans que personne ne tente quoique ce soit. Je tentais de me convaincre que c’était le cycle naturel des choses, et que je n’avais encore moins pas le droit d’intervenir pour le moment dans une ville qui était loin d’être mienne. Mais, en parallèle à cela, je ne pouvais renier cette foi, cette force et cette conviction qui habitait mon cœur depuis tant d’années. Et je ne pouvais aller contre l’importance de l’enseignement des Amazones : celui de cet amour pour la vie et de la nécessité de faire la différence, en apportant la paix, l’harmonie. En se voulant apôtre de Liberté et de Justice. Et renier à cette facette serait renier le magnifique cadeau que m’avait offert la princesse en me considérant aujourd’hui comme l’une des leurs.

N’y tenant plus, je coupai la télévision pour finalement me rendre dans la pièce qui m’avait été offerte en guise de chambre. Posant un genoux au sol, je relevai les draps descendant le long de ma couche et attrapa un large caisson métallique semblable à ceux des militaires, si ce n’est que ce dernier était noir. D’un geste vif, rapide, mécanique, je déverrouillai ledit coffre et posai mes yeux sur cette tenue que je n’avais plus porté depuis si longtemps… Une tenue à laquelle j’avais renoncé depuis plusieurs mois maintenant. Une tenue pour laquelle on m’avait reniée et exilée de ma propre ville, de mon propre sanctuaire. Mais une tenue qui coulait encore dans mon sang et dans mes veines. Une tenue qui faisait partie intégrante de moi, de mon corps et de ma peau… Peut-être que l’heure était venue de lui rendre son éclat d’antan… !

Quels sont les moyens disponibles pour essayer de trouver une échappatoire, une porte de sortie afin de permettre à tous ces otages d’être libérés et d’être sains et saufs ? J’étais bien loin d’être une héroïne à l’image de celles œuvrant pour la Justice sous un masque, mais je ne pourrais jamais demeurer en retrait face à un tel acte contre l’humanité. Ces hommes avaient pris possession de cette grande banque de Métropolis. Ils prenaient le contrôle des lieux et s’y étaient rapidement installés, comme s’ils avaient prévu leur coup. Comme s’ils avaient pris des plans du bâtiment, comme s’ils l’avaient côtoyé durant un long moment avant de mettre en exécution leur plan. En tout cas, c’était comme cela que j’évaluais la situation. J’étais toujours contre ce mur, dos à celui-ci, mains derrière la tête. Ceux-ci étaient immobiles, mais mes yeux scrutaient la zone avec précision, tout comme mes oreilles essayaient d’entendre les brides mots que l’un pouvait dire, prononcer à l’autre. C’étaient dans des moments pareils que je donnerais tout pour avoir les pouvoirs de Superman. En un temps, trois mouvements, les brigands auraient été appréhendés, les otages sauvés et longue vie au sauveur de la Terre ! A présent que je venais de penser à lui, je commençais à me demander si les non supporters de Superman saisiraient cette occasion pour encore plus l’enfoncer… Clark n’avait pas la capacité de se dédoubler, de se tripler, de se quadrupler et plus encore pour être dans plusieurs endroits différents. Il n’était pas un Dieu, même si bon nombre se persuadait du contraire. Et je ne voulais pas qu’il soit présent. Une prise d’otages comme celle-ci était une activité que les forces de l’ordre prenaient habitude de voir et ce n’était pas celle-ci qui sera différente des ordres. Autant aurais-je pu maîtriser un type s’il était seul, autant là, j’essayais de réfléchir convenablement à la solution la plus propice à cette situation. J’ignorais ce qui se passait à l’extérieur, mais ces hommes n’étaient pas à l’abri. C’est alors que je décidais d’éclaircir ma gorge afin d’entrouvrir les lèvres.

« Pensez-vous que vous êtes intouchables ? » Demeurant au sol, j’étais bien redressée, regardant ces deux hommes avec fermeté et sans aucune once de douceur. « Cela ne fait même pas cinq minutes que vous êtes arrivés et vous avez vu le chambardement qui se déroule à l’extérieur ? D’ici quelques instants, le chef de l’unité téléphonera et ce sera à ce moment-là que tout commencera pour vous ! »

Aussitôt eus-je terminé que l’un d’eux se rapprocha de moi pour me lever brusquement et me tenir par le bras. Il avait une sacrée poigne ! Sourcils froncés, je me retenais pour ne pas lui donner un coup de genou à cette partie si sensible, mais tellement utile pour qu’une femme puisse tomber enceinte.

« Hey, doucement ! Je ne suis qu’une femme ! Vous aimeriez qu’un imbécile puisse faire pareil à votre mère, par exemple ? »

Bien évidemment que je ne mâchais pas mes mots ! Ce n’était pas une prise d’otages, un assaut stupide qui me ferait me taire et changer la personne que je suis !

« Par pitié, mais fais la se taire ! Tu attends quoi ? Que je le fasse moi-même ? Remue-toi ! »

Un homme macho restait un homme macho et il n’avait pas réussi à trouver un autre moyen que de me frapper violemment à la mâchoire, une sorte de gifle puissante modifiée et je me retrouvais à nouveau au sol, ma main posée contre ma mâchoire, mes lèvres pour en essuyer l’apparition du sang causée par son geste. Ce n’était que le début. Je n’allais pas en rester là. Restant contre le sol froid, sous les regards effarés, apeurés des otages, je réfléchissais rapidement à quelque chose. C’était peut-être risqué, mais bon, qui ne tente rien n’a rien après tout…

« Toutes ces personnes… ils ne vous aideront en rien… » Mes yeux se fermèrent alors que j’essuyais encore un peu de ce sang qui coulait un peu. C’était douloureux, mais pas insurmontable pour autant. « Tandis que moi… Je suis Lois Lane. Vous savez celle qui écrit des articles sur Superman. » J’étais toujours dos à eux. Je ne le restais pas pour autant puisqu’on vint me relever et me ramener face au dirigeant des opérations. « Je peux vous avoir tout ce que vous désirez… à la condition que vous libériez ces otages. »

Mon désir premier résidait en leur libération et j’emploierais tous les moyens pour y parvenir, quoi qu’il m’en coûte.