Je rompais ma promesse, et je n'en étais pas fier. Pas plus que je n'étais fier d'avoir comme qui dirait volé mon ancien mentor, Batman en personne. Enfin, voler, c'était un bien grand mot. Disons que j'étais repassé chercher quelques affaires qui autrefois m'étaient assignées en tant que Robin, telles que mes uniformes, mes gadgets, deux ou trois ordinateurs portables, et surtout, ma moto. Ma moto en tant que Robin, pas ma moto lambda de civil. Mon dieu que ça faisait du bien de la retrouver ! Voilà que j'avais investi le dernier étage d'un vieux bâtiment en briques rouges du Vieux Gotham, abandonné, délabré, sinistre à souhait. J'avais piqué par la suite des banderoles d'un autre bâtiment non loin pour les installer sur celui-ci, sur les entrées et sorties, indiquant que le bâtiment était instable et prêt à s'effondrer, afin de m'assurer la tranquillité.

Bien sûr, je savais que Bruce avait du voir mon intrusion au Manoir, et ma petite récupération, mais il n'avait visiblement rien fait pour m'en empêcher, même à distance. J'y étais allé en m'assurant que ni lui ni ce crétin de Damian ne s'y trouvaient, étant en patrouille. Ca m'avait permis de parler aussi tranquillement avec ce bon vieux Alfred avant de repartir avec ma cargaison. Au fond, j'étais vexé d'avoir été remplacé par un morveux aussi impétueux et irrespectueux des précédents Robins, et qui en plus avait osé m'affronter et m'avait pour ainsi dire battu. J'en voulais à Bruce presque autant qu'à Damian, même si je ne le montrerais pas au premier intéressé. C'était son fils après tout, je n'avais pas à juger, pas ouvertement du moins, car je n'en pensais pas moins, tout comme Dick.

Mais tant pis, il avait beau être Robin, ma confrontation avec lui avait tout bonnement mis un terme à ma bonne résolution de ranger la cape. Je savais de toute façon que je n'aurais pas tenu la promesse faite à mon père jusqu'à la fin de mes jours. Le tout était de ne pas me faire choper.
Ce soir, je comptais arborer de nouveau le R, après avoir passé ces trois dernières nuits à installer mon QG, à brancher mes trois ordis sur mon plan de travail, à programmer les systèmes de brouillage et de protection, à établir ma propre base de données indépendante de la Batcave et de tout le reste, à sécuriser tout l'étage puis tout le bâtiment avec des micro-caméras, capteurs thermiques et autres micros ultra-sensibles. Oui, ce soir, j'étais paré pour reprendre du service, et cela commençait par rendre visite au Commissaire Gordon, afin de lui faire savoir, ou de lui confirmer, selon ses soupçons, que c'était bien moi qui lui avait laissé les enveloppes pleines d'informations sur le trafic d'organes sur lequel j'enquêtais en parallèle de la police. L'une des mafias de Gotham était forcément à la tête de cette "filiale", le tout était de déterminer clairement laquelle pour réagir de manière adaptée et "frapper" à la bonne porte.

« Simple visite de courtoisie, Commissaire, » dis-je, un pied posé sur le rebord du toit du Commissariat de Gotham où le Bat-Signal était allumé depuis plusieurs heures déjà. « Ca fait donc deux Robin...? C'est plutôt... inhabituel... » déclara Gordon, soupçonneux. Je sentais à sa voix qu'il cherchait la raison de cette situation, et envisageait bien sûr le pire avant tout en bon flic qu'il était, à savoir d'éventuelles tensions dans le clan du Chevalier Noir et de sa "succession". « Solution temporaire, » le rassurai-je. En vérité, je savais que c'était temporaire, mais j'ignorais encore quel chemin je comptais vraiment prendre. Agir en solo comme Dick m'inspirait, mais me détacher totalement de Bruce m'effrayait aussi. J'avais beau revendiquer l'émancipation, je craignais encore avoir à apprendre de lui. Mais il m'avait fermé la porte au profit de Damian. J'étais donc coincé. Il me faudrait délibérer et prendre mon envol pour de bon de mon côté, lorsque je me sentirais fin prêt. « J'agis en indépendant, » précisai-je, avant de changer de sujet, « Ca fait plaisir de retravailler avec vous, je vous tiendrai au courant  de mes avancées sur ce trafic. Les indices portent à croire que le Pingouin est derrière ça, mais sait-on jamais que ce soit une mauvaise piste pour l'accuser à tort et continuer à agir impunément. » « Peut-être une mouvance interne des anciennes familles Maroni, ou Falcone. Leur nouveau statut de vassaux du Pingouin ne doit pas beaucoup leur plaire. » « Possible. J'en aurai le coeur net très bientôt, je remonte la filière depuis plus d'un mois et j'approche du sommet, si on peut dire, » expliquai-je en lui confiant un petit appareil destiné à me joindre, ou du moins, à me faire savoir qu'il désirait me voir. Bien sûr, il était conçu pour n'être utilisable que par Gordon, afin de minimiser les risques de pièges s'il tombait entre de mauvaises mains. Batman et Damian avaient leur signal, Gordon aurait également le mien en prime pour les affaires supplémentaires, car il y en avait bien plus que deux par nuit et même Batman ne pouvait pas se dédoubler malgré ses gadgets. Je ne pouvais plus dépendre du Bat-ordinateur désormais, même si quelques incursions seraient inévitables pour certaines affaires criminelles. Gordon examina l'appareil. « Et comment est-ce que ça mar... Et Zut. »

Déjà parti, je m'élançai de toit en toit à l'aide de mon grappin, savourant de nouveau la sensation de liberté et d'adrénaline que cela me procurait. Comme avant. A la différence que je ne suivais pas l'ombre d'une chauve-souris, et que j'étais seul. Vraiment seul. C'était excitant.
J'atterris quelques minutes plus tard sur le toit de la gare de Gotham, à l'architecture ancienne et élégante malgré l'aura obscure que la nuit lui conférait. Dans beaucoup de villes, les gares devenaient des zones mal famées où traînaient souvent des bandes de jeunes n'ayant rien d'autre à faire. Je me faufilai dans les bureaux à l'étage. Dans la pénombre, désertés par leurs occupants diurnes, je fouillai les tiroirs et ordinateurs à la recherche de notes ou de rapports anormaux. Je savais que ce soir aurait lieu un chargement sensible d'organes "frais" en partance pour Metropolis, mais il me fallait non seulement des preuves de l'implication des agents de gare, pour éviter qu'ils gardent leurs postes et paient de leur corruption, mais aussi et surtout l'heure précise et le quai de transit du train de marchandise concerné. Je comptais frapper fort ce soir, car il y aurait forcément un chef capable de me balancer de nouveaux noms pour continuer ma remontée de piste.

Je trouvai quelques notes suspectes, que je scannai pour preuves, recoupant mentalement avec des informations obtenues lors de mes précédentes actions. Puis, plutôt que de m'embêter à parcourir la vingtaine de quais et la quarantaine de trains différents, grands comme petits, sans parler de leur nombre affolant de wagons à fouiller, je repartis sur le toit et me branchai sur le récepteur de la pièce de vidéo-surveillance de la gare. Sur mon écran tactile implanté dans mon gant, j'eus ainsi une vue d'ensemble sur tout le trafic en temps réel. Je n'avais plus qu'à attendre de voir les suspects entrer en scène. Des organes à maintenir viables, ça ne passait pas inaperçu, car cela ne pouvait pas se ranger dans un étui à lunettes, il fallait au minimum une caisse réfrigérée et hermétique, voire plusieurs selon le nombre à transporter. En même temps, je m'étais placé près des verrières qui me permettaient d'avoir une vue sur le hall, au cas où les idiots de caïds des bacs à sable qui traînaient et dealaient dans le coin avaient l'idée stupide d'agresser des innocents. J'étais aussi là pour ça après tout, pour protéger les citoyens.

Quelques minutes plus tard seulement, mon regard fut attiré par un jeune individu au comportement suspect. De prime abord, je crus à un dealer, surtout vu du haut de mon perchoir, avec sa casquette et sa capuche par-dessus. Je le voyais quitter son siège et marcher de plus en plus vite, comme nerveux. Je remarquai alors les hommes le suivant. Cela aurait pu être la police en train de faire son travail - pour une fois - mais en zoomant je repérai des armes sous leurs vestes qui n'avaient rien à voir avec celles réglementaires du GCPD ou des STUPS, même sous couverture. Quelque chose clochait, et cela se confirma en voyant d'autres hommes arriver de gauche puis de droite pour cerner progressivement le jeune garçon. Délaissant ma surveillance des trains, je suivis l'individu le long de la verrière, puis bondis sur le toit en taule du premier quai lorsqu'il s'enfonça dans les couloirs intérieurs, menant à celui-ci quelques secondes plus tard. Là aussi, des hommes l'attendaient au tournant. Et cette fois, il ne put les éviter, optant pour une confrontation inévitable au vu de son poing serré prêt à frapper.
Ayant vu l'étau se resserrer, je bondis du toit tête la première, balançant dans la volée des billes fumigènes qui explosèrent au sol et inondèrent les lieux d'une épaisse fumée dans laquelle je fondis et disparus. Je tombai sur l'un des soldats qui barrait la route du jeune, le plaquant à terre et l'assommant, avant de bondir sur le second qui s'était mis à dégainer et à tirer à l'aveuglette, soudainement pris de court par mon intervention inattendue. Mon shuriken fendit l'air pour le désarmer dans l'instant, avant que mon coup de pied sauté retourné ne l'envoie au tapis. Je crus entendre des bruits de lutte sans en être sûr. Où était le garçon ? Mon masque ayant sa vision thermique activée, j'étais le seul - normalement, car j'ignorais les pouvoirs du jeune homme - à même de voir à travers le brouillard que j'avais moi-même créé pour embrouiller tout ce petit monde.
Les hommes qui le poursuivaient arrivèrent aussi, et je dégainai mon Bo pour m'occuper de leur sort à coup d'acrobaties et de frappes de bâton bien placées. Je mis  six hommes au tapis. Bon sang, ça m'avait manqué de me battre contre des malfrats ! Mais où était le fugitif ?! « Hey ! Toi là-bas ! REVIENS ! » m'exclamai-je en apercevant une silhouette s'enfuir. Je lançai un batarang encordé qui s'enroula autour de sa cheville, et tirai dessus pour le faire trébucher dans sa course. Je me rendis aussitôt auprès de lui, dans le but de le neutraliser plus efficacement s'il réagissait, et surtout de l'interroger. Mais voilà que d'autres hommes arrivaient, qu'au loin un hélicoptère semblait rappliquer... et qu'il ne semblait pas lui-même le moins du monde amoché par son combat ni sa chute à terre pourtant brutale. Ils avaient l'air de vraiment le vouloir, ce fugitif, autant qu'il était déterminé à leur échapper. Bon sang, dans quoi j'étais encore tombé ?! La nuit risquait d'être plus trépidante et incertaine que prévue.

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